20 000 alpinistes par an à l'assaut du géant des Alpes : les secrets du Mont Blanc

4 807 mètres d'altitude, 11 173 alpinistes en 2022, 400 ans d'histoire. Le Mont Blanc, géant des Alpes, fascine autant qu'il intimide. Sentinelle de pierre trônant à la frontière franco-italienne, ce colosse blanc captive les hommes depuis des siècles. De Saussure à Balmat, en passant par Whymper, les plus grands noms de l'alpinisme ont foulé ses neiges éternelles. Mais au-delà des chiffres et des exploits, le "Toit de l'Europe" recèle bien des mystères. Quelle est la véritable altitude du Mont Blanc ? Pourquoi change-t-elle chaque année ? Et que cache réellement ce massif aux multiples visages ?
Le Mont Blanc, un géant aux mensurations fluctuantes
Surprise ! Le Mont Blanc n'affiche pas toujours la même taille. En septembre 2023, les géomètres-experts ont mesuré une hauteur de 4 805,59 mètres. Deux années auparavant, le sommet culminait à 4 807,81 mètres. Comment expliquer ces variations ? Le secret réside dans la calotte sommitale. Cette couche de neige et de glace, épaisse de 14 à 25 mètres selon les saisons, joue les yo-yo. Les vents, les précipitations et les températures modèlent sans cesse ce chapeau blanc. Résultat : le Mont Blanc grandit et rétrécit au gré des saisons et des années.
Mais ne vous y trompez pas, le socle rocheux reste immuable. Sa dernière mesure officielle remonte à 2021 : 4 792 mètres d'altitude. C'est sur cette base solide que s'accumulent neige et glace pour former le point culminant de l'Europe occidentale. Un titre que le Mont Blanc conserve jalousement, malgré les assauts du Mont Rose (4 634 m) ou du Cervin (4 478 m).
Dans les pas des pionniers : l'épopée de la conquête
Remontons le temps jusqu'au 8 août 1786. Deux hommes gravissent pour la première fois le sommet du Mont Blanc : le cristallier Jacques Balmat et le médecin Michel-Gabriel Paccard. Cette ascension historique marque le début de l'alpinisme moderne. Mais que d'obstacles à surmonter ! Crevasses béantes, séracs menaçants, tempêtes de neige... Les deux compères affrontent mille périls avant d'atteindre le sommet tant convoité.
Leur exploit ouvre la voie à d'autres aventuriers. En 1787, le naturaliste genevois Horace-Bénédict de Saussure réalise la troisième ascension. Il en profite pour mener les premières expériences scientifiques en haute altitude. Température, pression atmosphérique, composition de l'air... De Saussure pose les bases de la météorologie alpine.
"Ce que nous observons là-haut change notre perception du monde d'en bas", notait-il dans son carnet.
Au fil des décennies, le Mont Blanc attire les plus grands noms de l'alpinisme. Edward Whymper, vainqueur du Cervin, y fait ses armes. Albert F. Mummery y ouvre de nouvelles voies. Gaston Rébuffat en fait son terrain de jeu favori. Chacun apporte sa pierre à l'édifice, repoussant toujours plus loin les limites du possible.
Les mille visages du massif : de la vallée aux glaciers
Le Mont Blanc, c'est bien plus qu'un simple sommet. C'est tout un massif qui s'étend sur 400 km² à cheval entre la France, l'Italie et la Suisse. Un véritable royaume de la verticalité où s'enchevêtrent vallées profondes, aiguilles acérées et glaciers majestueux.
Parmi les joyaux du massif, la Mer de Glace tient une place à part. Avec ses 7 km de long, c'est le plus grand glacier de France. Un fleuve de glace en perpétuel mouvement, qui s'écoule lentement vers la vallée. Mais la Mer de Glace n'est pas seule. Le glacier des Bossons, le glacier d'Argentière ou encore le glacier du Géant complètent ce paysage grandiose.
Plus bas, la vallée de Chamonix offre un contraste saisissant. Nichée à 1 035 mètres d'altitude, elle fut longtemps un territoire isolé et hostile. Aujourd'hui, c'est le point de départ incontournable pour les ascensions du Mont Blanc. La ville de Chamonix, avec ses 8 611 habitants, vit au rythme de la montagne. Hôtels cossus, boutiques de sport et restaurants étoilés côtoient les chalets traditionnels.
Un écosystème unique sous haute surveillance
Le Mont Blanc n'est pas qu'un terrain de jeu pour les alpinistes. C'est aussi un écosystème fragile, refuge d'une biodiversité exceptionnelle. Dans les prairies alpines, le génépi côtoie l'edelweiss. Plus haut, l'aigle royal plane au-dessus des troupeaux de bouquetins. Et sur les parois rocheuses, le lagopède alpin brave les rigueurs de l'hiver.
Mais cet équilibre est menacé. Le réchauffement climatique frappe de plein fouet le massif. Les glaciers reculent, les névés fondent, la roche se fragilise. Face à ces défis, scientifiques et associations se mobilisent. Le projet "Phénoclim" suit l'évolution de la flore alpine. Des capteurs high-tech traquent les moindres variations de température. Et des guides bénévoles nettoient chaque année les sentiers et les refuges.
"Nous sommes les gardiens de ce patrimoine naturel unique", déclare Marie Durand, biologiste au CNRS. "Chaque geste compte pour préserver cet environnement exceptionnel."
Vidéo du jour
L'appel du sommet : dans la peau d'un alpiniste
Chaque année, ils sont des milliers à tenter l'aventure. Plus de 20 000 alpinistes partent à l'assaut du toit de l'Europe, bravant le froid, l'altitude et l'épuisement. Mais que ressent-on vraiment là-haut, à près de 5 000 mètres d'altitude ?
Franck Giroud, guide de haute montagne depuis 30 ans, nous livre son expérience :
"Le Mont Blanc, c'est d'abord un combat contre soi-même. L'air se raréfie, chaque pas devient un effort. Mais quand on atteint le sommet, c'est une sensation indescriptible. On domine les Alpes, on se sent tout petit face à l'immensité."
L'ascension classique par la voie normale dure en moyenne deux jours. Premier arrêt au refuge de Tête Rousse (3 167 m), puis au refuge du Goûter (3 835 m). C'est là que commence vraiment l'aventure. Départ à 2h du matin, frontale sur la tête. Il faut profiter de la neige dure avant que le soleil ne la ramollisse. L'arête des Bosses, vertigineuse, mène enfin au sommet.
Mais attention, le Mont Blanc ne se laisse pas dompter facilement. Les changements météo brutaux, le mal des montagnes ou les chutes de pierres guettent les imprudents. Chaque année, une dizaine d'alpinistes y laissent la vie. Un rappel cruel que la montagne ne pardonne pas les erreurs.
Les gardiens du temple : dans les coulisses des refuges
Ils sont les anges gardiens des alpinistes. Les gardiens de refuge veillent jour et nuit sur leurs protégés. Au refuge du Goûter, dernier arrêt avant le sommet, Christophe Lelièvre orchestre ce ballet incessant.
"On accueille jusqu'à 120 personnes par nuit. Il faut gérer les réservations, préparer les repas, conseiller les alpinistes... Et surtout, veiller à la sécurité de tous."
Car ici, à 3 835 mètres d'altitude, le moindre grain de sable peut virer au drame. Les orages sont fréquents, le froid intense. Le refuge devient alors un havre de paix, un îlot de chaleur dans l'immensité glacée.
Mais la vie de gardien n'est pas de tout repos. L'eau est rare, l'électricité précieuse. Tout doit être héliporté : nourriture, gaz, matériel... Un défi logistique quotidien pour ces sentinelles des cimes.
Quand la science prend de l'altitude
Le Mont Blanc n'est pas qu'un terrain de jeu pour les sportifs. C'est aussi un formidable laboratoire à ciel ouvert. Depuis le 18ème siècle, les scientifiques y mènent des expériences en tout genre.
Au refuge des Cosmiques (3 613 m), une station météo high-tech scrute le ciel 24h/24. Plus haut, au col du Dôme (4 304 m), des capteurs analysent la composition de l'air. Objectif : étudier la pollution atmosphérique et son impact sur le climat.
Mais la recherche ne s'arrête pas là. Géologues, glaciologues et botanistes arpentent sans relâche les pentes du géant blanc. Leurs découvertes sont précieuses pour comprendre l'évolution du massif et anticiper les défis futurs.
Le Mont Blanc, moteur économique de toute une région
Le massif du Mont Blanc, c'est aussi une manne économique pour toute la région. Chaque année, plus de 6 millions de visiteurs affluent dans la vallée de Chamonix. Un flux touristique qui génère plus de 1,5 milliard d'euros de retombées économiques.
L'or blanc est au cœur de cette économie. Les stations de ski nées de l'audace d'alpinistes attirent des skieurs du monde entier. Chamonix, Megève, Saint-Gervais... Autant de noms qui font rêver les amateurs de glisse.
Mais le tourisme n'est pas la seule ressource. L'eau du Mont Blanc, puisée à la source, est embouteillée et exportée dans le monde entier. Les cristaux et minéraux extraits des flancs de la montagne alimentent un artisanat local florissant.
Cette manne économique a toutefois son revers. La pression immobilière s'accentue, les prix flambent. Comment préserver l'authenticité de la vallée face à cet afflux touristique ? C'est tout l'enjeu des années à venir.
L'héritage culturel : quand le Mont Blanc inspire les artistes
Le Mont Blanc ne fascine pas que les alpinistes et les scientifiques. Depuis des siècles, il inspire peintres, écrivains et musiciens. Victor Hugo, en visite à Chamonix en 1825, écrivait :
"J'ai vu le Mont Blanc. C'est beau, c'est grand, c'est sublime. Mais c'est triste."
Le peintre anglais William Turner a immortalisé les jeux de lumière sur les glaciers. Le compositeur Richard Strauss a dédié une symphonie alpine au massif. Plus récemment, le photographe Robert Doisneau a capturé la vie quotidienne des chamoniards dans les années 50.
Aujourd'hui encore, le Mont Blanc continue d'inspirer. Le festival "Rencontres Littéraires en Pays du Mont-Blanc" réunit chaque année écrivains et lecteurs passionnés. Et le Musée Alpin de Chamonix retrace l'histoire tumultueuse de la conquête du sommet.
Demain, quel avenir pour le géant des Alpes ?
Le Mont Blanc est à la croisée des chemins. Le réchauffement climatique menace ses glaciers. La pression touristique s'accentue. Comment préserver ce joyau naturel tout en permettant son développement économique ?
Des initiatives voient le jour. Le projet "Mont-Blanc 2050" vise à repenser l'aménagement du massif de manière durable. Des quotas d'alpinistes sont envisagés pour préserver les voies d'accès au sommet. Et les stations de ski misent sur le tourisme quatre saisons pour s'adapter au changement climatique.
Mais le plus grand défi reste peut-être de sensibiliser le public. Car le Mont Blanc n'appartient pas qu'aux alpinistes ou aux scientifiques. C'est un patrimoine universel, dont nous sommes tous responsables.
À 930m d'altitude, ce lac gelé de 6,5 km devient la plus grande patinoire d'Europe. Une illustration parmi tant d'autres de la beauté fragile de nos montagnes. Le Mont Blanc, sentinelle des Alpes, nous rappelle notre devoir de vigilance. Car c'est en préservant ces géants de pierre que nous préserverons notre avenir.