À 3h de Paris, découvrez le château où un cousin de Madame de Sévigné passa 17 ans d'exil
Le Château de Bussy-Rabutin représente l'un des témoignages les plus singuliers de l'histoire de France du XVIIe siècle. Cette demeure aristocratique, située au cœur de la Bourgogne, incarne l'esprit frondeur et satirique de son propriétaire le plus célèbre, Roger de Rabutin, comte de Bussy. Banni de la cour de Louis XIV pour ses écrits mordants, il transforma son exil forcé en une œuvre d'art unique, faisant de son château un véritable musée de la satire sociale et politique du Grand Siècle.
Des murs qui parlent : 1500 m² de galeries satiriques uniques en Europe
Le château abrite une collection exceptionnelle de plus de 200 portraits et peintures murales, répartis sur trois niveaux. Roger de Rabutin, durant son exil qui dura 17 ans (1665-1682), orchestra une mise en scène picturale unique. Chaque salle raconte une histoire différente, avec des portraits accompagnés de légendes caustiques qui ridiculisent les personnages de la cour. La "Galerie des Hommes de Guerre" présente 80 portraits de grands capitaines et rois de France, tandis que la "Chambre des Devises" expose 42 maximes personnelles du comte, témoignant de son esprit acerbe.
La "Salle des Hommes Illustres" constitue le point culminant de cette collection avec ses 56 portraits grandeur nature. Parmi eux, le portrait de Louis XIV occupe une place centrale, entouré d'inscriptions subtilement ironiques qui démontrent l'audace du comte. Une anecdote révèle que certains visiteurs de l'époque recopiaient secrètement ces légendes pour les faire circuler à Paris, contribuant ainsi à la réputation sulfureuse du lieu.
Un jardin à la française de 6 hectares : l'héritage botanique d'un exilé
Les jardins du château, classés monuments historiques depuis 1947, s'étendent sur 6 hectares. Roger de Rabutin, pendant son exil, consacra une partie importante de son temps à leur aménagement. Ces jardins suivent les principes géométriques établis par Le Nôtre, avec des parterres symétriques et des allées rectilignes. Une particularité peu connue est la présence d'un système hydraulique du XVIIe siècle, toujours fonctionnel, qui alimentait les fontaines et les bassins.
Les archives du château révèlent que plus de 1000 arbres furent plantés entre 1665 et 1680, dont certains spécimens rares importés d'Orient. Le "Grand Canal", long de 150 mètres, reflète encore aujourd'hui la façade sud du château, créant un effet de miroir saisissant. Les parterres de buis, restaurés selon les plans d'origine, forment des motifs complexes visibles depuis les fenêtres du premier étage, une disposition voulue par le comte pour pouvoir admirer son œuvre depuis ses appartements.
La vie tumultueuse d'un courtisan déchu : 17 années d'exil créatif
Roger de Rabutin (1618-1693), cousin de la célèbre marquise de Sévigné, connut une existence mouvementée. Militaire brillant devenu courtisan, il fut banni de la cour en 1665 pour avoir écrit "L'Histoire amoureuse des Gaules", un pamphlet satirique dévoilant les intrigues amoureuses de la cour. Cette disgrâce le contraignit à se retirer dans son château bourguignon, transformant son exil en une période de création artistique intense.
Durant ces 17 années d'exil, le comte entretint une correspondance prolifique, notamment avec sa cousine Madame de Sévigné, produisant plus de 4000 lettres. Ces écrits, conservés aujourd'hui à la Bibliothèque nationale de France, offrent un témoignage précieux sur la vie aristocratique du XVIIe siècle. Le château devint son refuge créatif, où il développa un programme décoratif unique, mélangeant art et satire sociale.
Les archives du château révèlent que Roger de Rabutin investit plus de 100 000 livres (équivalent à plusieurs millions d'euros actuels) dans la décoration de sa demeure. Il employa les meilleurs artistes de son temps, dont Charles Le Brun, premier peintre du roi, pour réaliser certains portraits. Cette dépense considérable témoigne de sa volonté de transformer son lieu d'exil en un manifeste artistique et politique.