Ce palais à Strasbourg abrite 3 musées et accueille 200 000 visiteurs par an

1742, à Strasbourg. Le Palais Rohan s'élève majestueusement sur les rives de l'Ill, défiant les codes architecturaux de son époque. Cette résidence princière, conçue par le célèbre Robert de Cotte, premier architecte du roi Louis XV, allait devenir le théâtre d'une histoire riche en rebondissements. Construit en pierre jaune de Wasselonne, un matériau rare et précieux, le palais témoigne de l'opulence et du raffinement des princes-évêques de Strasbourg. Mais qui aurait pu prédire que ce joyau architectural accueillerait un jour trois musées d'exception, attirant plus de 200 000 visiteurs chaque année ?

Une commande princière aux origines controversées

Le cardinal Armand-Gaston de Rohan-Soubise, prince-évêque de Strasbourg, ne lésinait pas sur les moyens pour asseoir son pouvoir. En 1727, il commande la construction d'un palais digne de son rang. Mais cette décision ne fait pas l'unanimité. Les chanoines du Grand Chapitre s'y opposent fermement, arguant que le prélat possède déjà une résidence officielle. Le cardinal, rusé, contourne l'obstacle en acquérant à titre personnel les terrains nécessaires. Le chantier débute en 1732, sous la direction de Joseph Massol, architecte de la ville.

L'ampleur du projet est pharaonique : 220 ouvriers s'activent quotidiennement pendant dix ans. Le coût final s'élève à 1,2 million de livres, une somme astronomique pour l'époque. Les travaux s'achèvent en 1742, donnant naissance à un chef-d'œuvre de l'architecture française du XVIIIe siècle.

Une façade qui en impose : le théâtre du pouvoir ecclésiastique

La façade principale du Palais Rohan, longue de 67 mètres, est un véritable manifeste architectural. Ses 17 travées, rythmées par des pilastres colossaux, impressionnent le passant. L'avant-corps central, couronné d'un fronton triangulaire, abrite le portail monumental. Au-dessus, les armoiries du cardinal de Rohan s'affichent fièrement, taillées dans la pierre par le sculpteur Robert Le Lorrain. Cette façade n'est pas sans rappeler certaines cités médiévales aux remparts imposants, bien que son style soit résolument baroque.

Côté jardin, la façade sud offre un spectacle tout aussi saisissant. Ses 15 travées s'ouvrent sur une terrasse dominant l'Ill. Cette vue imprenable sur la rivière et la Petite France a inspiré de nombreux artistes au fil des siècles.

Des intérieurs somptueux : le raffinement à la française

Franchir le seuil du Palais Rohan, c'est pénétrer dans un monde de luxe et d'élégance. Le vestibule d'honneur, avec son escalier monumental, donne le ton. Les salons d'apparat, au premier étage, rivalisent de splendeur. La salle du Synode, longue de 18 mètres, impressionne par ses proportions et son décor rocaille. Les boiseries sculptées et dorées, les stucs délicats et les peintures de maîtres créent une atmosphère unique.

La chambre du Roi, aménagée en prévision des visites royales, est un chef-d'œuvre de raffinement. Son lit à baldaquin, réplique de celui de Versailles, témoigne de l'ambition des Rohan de rivaliser avec la cour. Contrairement à certains châteaux acquis par la noblesse, le Palais Rohan a été spécifiquement conçu pour éblouir et impressionner.

Des hôtes illustres : quand l'Histoire s'écrit entre ces murs

Le Palais Rohan a accueilli son lot de personnalités marquantes. Louis XV y séjourne en 1744, suivi de Marie-Antoinette en 1770. La jeune archiduchesse d'Autriche y fait étape lors de son voyage vers Versailles, où elle doit épouser le futur Louis XVI. On raconte que c'est dans ces murs qu'elle aurait appris les derniers rudiments de l'étiquette française.

Vidéo du jour

Napoléon Bonaparte et Joséphine y logent en 1805, puis à nouveau en 1809. L'empereur apprécie tellement le palais qu'il en fait sa résidence strasbourgeoise officielle. Plus récemment, en 2009, le palais a servi de cadre à la rencontre entre les présidents Barack Obama et Nicolas Sarkozy, lors du sommet de l'OTAN.

La Révolution : le palais en péril

La Révolution française marque un tournant dans l'histoire du Palais Rohan. En 1791, le dernier prince-évêque, Louis-René-Édouard de Rohan, est contraint à l'exil. Le palais est confisqué et transformé en hôtel de ville. Ses riches collections sont dispersées, certaines œuvres d'art détruites. Le bâtiment échappe de peu à la démolition, grâce à l'intervention de l'architecte Pierre-Valentin Boudhors.

Pendant cette période trouble, le palais connaît diverses affectations : école centrale, bibliothèque, puis résidence impériale sous Napoléon. Ce n'est qu'en 1870 que la municipalité de Strasbourg décide d'y installer des musées, lui redonnant ainsi sa vocation culturelle.

Trois musées d'exception : un voyage à travers l'art et l'histoire

Aujourd'hui, le Palais Rohan abrite trois musées majeurs, attirant plus de 200 000 visiteurs chaque année :

  • Le Musée des Beaux-Arts : Créé en 1890, il présente une collection exceptionnelle de peintures européennes du XIVe au XIXe siècle. On y admire des œuvres de Botticelli, Raphaël, Rubens, ou encore Goya.
  • Le Musée Archéologique : Fondé en 1855, c'est l'un des plus riches de France. Il retrace l'histoire de l'Alsace, de la préhistoire au Moyen Âge, à travers plus de 600 000 objets.
  • Le Musée des Arts décoratifs : Installé dans les appartements des cardinaux de Rohan, il offre un aperçu unique du mobilier et des arts décoratifs des XVIIe et XVIIIe siècles.

Ces musées ne se contentent pas d'exposer des collections permanentes. Ils organisent régulièrement des expositions temporaires qui attirent des milliers de visiteurs. En 2022, l'exposition "L'Œil de Huysmans" a ainsi accueilli plus de 30 000 personnes en trois mois.

Un défi de conservation : préserver l'âme du palais

Maintenir un tel joyau architectural en état n'est pas une mince affaire. Le Palais Rohan fait l'objet d'un programme de restauration constant. En 2018, une vaste campagne de travaux a été lancée pour restaurer les toitures et les façades. Coût de l'opération : 3,5 millions d'euros. Ces efforts permettent de préserver l'authenticité du lieu tout en l'adaptant aux exigences modernes de sécurité et d'accueil du public.

Les conservateurs du palais doivent relever un défi de taille : concilier la préservation du patrimoine et l'accueil de centaines de milliers de visiteurs chaque année. Un système de régulation de l'humidité et de la température a été mis en place pour protéger les œuvres d'art et les boiseries anciennes.

Le Palais Rohan, au cœur de la vie culturelle strasbourgeoise

Au-delà de sa fonction muséale, le Palais Rohan joue un rôle central dans la vie culturelle de Strasbourg. Chaque année, il accueille des concerts de musique classique dans ses salons d'apparat. Le festival "Musica" y organise régulièrement des représentations, mêlant la beauté du lieu à celle des mélodies.

Le palais participe également aux grands événements strasbourgeois. Pendant la période de Noël, sa façade s'illumine, s'intégrant parfaitement dans le décor féérique du marché de Noël voisin. Lors de la Nuit des Musées, il ouvre ses portes jusqu'à tard dans la nuit, offrant aux visiteurs une expérience unique.

Un écrin de verdure insoupçonné : les jardins du palais

Peu de visiteurs le savent, mais le Palais Rohan possède également des jardins, bien que modestes comparés à certains paysages naturels exceptionnels de la région. Situés à l'arrière du bâtiment, ces espaces verts offrent une pause bienvenue dans le centre historique de Strasbourg. On y trouve notamment un parterre à la française, redessiné au XIXe siècle, qui rappelle l'époque glorieuse des princes-évêques.

Ces jardins, bien que peu étendus, jouent un rôle important dans l'écosystème urbain. Ils abritent plusieurs espèces d'oiseaux et d'insectes, contribuant à la biodiversité du centre-ville. Des visites guidées botaniques y sont occasionnellement organisées, permettant aux visiteurs de découvrir cette facette méconnue du palais.

Le Palais Rohan, un lieu d'inspiration pour les artistes

Au fil des siècles, le Palais Rohan a inspiré de nombreux artistes. Peintres, photographes et écrivains ont tenté de capturer son essence. Victor Hugo, lors de son passage à Strasbourg en 1839, en fait une description élogieuse dans ses carnets de voyage. Plus récemment, le palais a servi de décor à plusieurs films et séries télévisées, dont "La Révolution française" en 1989.

Aujourd'hui encore, le palais continue d'inspirer. Chaque année, un concours de photographie est organisé, invitant amateurs et professionnels à porter un regard neuf sur ce monument historique. Les œuvres sélectionnées sont ensuite exposées dans les couloirs du musée, créant un dialogue entre le passé et le présent.

Visiter le Palais Rohan : informations pratiques

Le Palais Rohan est ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 18h. Le billet d'entrée (12€ pour les adultes, gratuit pour les moins de 18 ans) donne accès aux trois musées. Pour une visite approfondie, comptez au moins une demi-journée. Des audioguides sont disponibles en plusieurs langues, permettant une découverte autonome et enrichissante.

Pour les amateurs d'histoire et d'architecture, des visites guidées sont organisées chaque week-end. Elles permettent d'accéder à certaines parties habituellement fermées au public, comme les anciens appartements privés des cardinaux.

Le Palais Rohan : un héritage à préserver et à transmettre

Le Palais Rohan est bien plus qu'un simple monument historique. C'est un livre d'histoire à ciel ouvert, un témoignage de l'art de vivre au XVIIIe siècle, et un écrin pour des collections artistiques exceptionnelles. Sa préservation et sa mise en valeur sont essentielles pour transmettre ce patrimoine aux générations futures.

Chaque visiteur qui franchit ses portes participe à cette transmission. En admirant ses façades, en parcourant ses salons, en découvrant ses collections, nous devenons les gardiens temporaires de ce joyau architectural. Le Palais Rohan nous rappelle que l'histoire n'est pas figée : elle continue de s'écrire, jour après jour, entre ses murs centenaires.