Cette exploitation millénaire produit 12 000 tonnes d'or blanc chaque année sur 2000 hectares

À l'ouest de la France, les marais salants de Guérande s'étendent sur 2 000 hectares de terres façonnées par l'homme depuis plus de 1000 ans. Cette immense mosaïque de bassins, d'argiles et de canaux constitue un écosystème unique en Europe, où tradition millénaire et savoir-faire ancestral se perpétuent au fil des générations. Les 70 paludiers actifs y récoltent chaque année près de 12 000 tonnes de sel marin, selon des méthodes artisanales préservées depuis le IXe siècle.
Le plus grand marais salant d'Europe : 2000 hectares de bassins entrecroisés créés il y a 1000 ans
L'histoire des marais salants de Guérande remonte à l'époque carolingienne, lorsque les moines bénédictins commencèrent à aménager ces terres pour exploiter l'or blanc. La configuration actuelle des bassins, établie au IXe siècle, témoigne d'une ingéniosité remarquable dans la maîtrise hydraulique. Le système complexe d'étiers, de vasières et de cristallisoirs permet de concentrer progressivement l'eau de mer jusqu'à l'obtention des précieux cristaux de sel.
Les marais s'organisent en une succession de bassins aux fonctions distinctes. L'eau de mer, captée lors des grandes marées, circule d'abord dans les vasières où elle commence à s'évaporer. Elle poursuit son chemin dans les cobiers, puis les fares, avant d'atteindre les œillets, ultimes bassins où se forme le sel. Cette progression minutieusement contrôlée peut s'étendre sur près de 2 kilomètres depuis l'entrée de l'eau jusqu'aux cristallisoirs.
La géométrie parfaite des bassins, visible depuis les airs, révèle une organisation méticuleuse du territoire. Chaque paludier gère en moyenne 50 œillets, soit environ 60 ares de marais. Cette surface permet une production annuelle de 80 à 100 tonnes de gros sel et 2 à 3 tonnes de fleur de sel, la fine pellicule qui se forme à la surface de l'eau.
70 paludiers perpétuent un savoir-faire millénaire transmis de génération en génération
Le métier de paludier exige une connaissance approfondie des éléments naturels. Ces artisans du sel maîtrisent l'art délicat de la circulation de l'eau, adaptant leurs techniques aux conditions météorologiques. Ils utilisent des outils traditionnels comme le las à fleur pour récolter la précieuse fleur de sel, ou le las à sel pour le gros sel, des instruments dont la forme n'a pratiquement pas changé depuis des siècles.
La récolte du sel s'effectue principalement entre juin et septembre, période où l'évaporation est maximale. Les paludiers peuvent récolter quotidiennement jusqu'à 100 kg de gros sel par œillet lors des journées les plus favorables. La fleur de sel, plus rare et délicate, ne représente que 3% de la production totale, ce qui explique son prix plus élevé sur le marché.
L'apprentissage du métier nécessite plusieurs années de formation. Les futurs paludiers doivent assimiler non seulement les techniques de récolte, mais aussi la lecture du ciel, la compréhension des vents et des marées. Cette transmission des savoirs se fait souvent de façon familiale, bien qu'une école du paludier ait été créée pour former de nouveaux professionnels.
Un écosystème unique qui abrite 280 espèces d'oiseaux et une biodiversité exceptionnelle
Les marais salants constituent un habitat privilégié pour une faune et une flore remarquables. Plus de 280 espèces d'oiseaux y trouvent refuge, dont l'avocette élégante, symbole des marais. La diversité des milieux (bassins, digues, bossis) offre des conditions idéales pour la nidification et l'alimentation de nombreuses espèces migratrices.
La flore des marais présente également des adaptations fascinantes aux conditions salines. On y trouve des plantes halophiles comme la salicorne, l'obione et la soude maritime. Ces végétaux contribuent à la stabilité des berges et constituent une ressource alimentaire appréciée, la salicorne étant même récoltée pour la gastronomie.
La gestion traditionnelle des marais par les paludiers joue un rôle crucial dans le maintien de cette biodiversité. Les pratiques ancestrales d'entretien des bassins et des digues créent une mosaïque d'habitats favorable à la vie sauvage. Cette symbiose entre activité humaine et nature fait des marais de Guérande un exemple remarquable d'agriculture durable.