Intelligence artificielle vs superbactéries : la nouvelle arme secrète contre la résistance aux antibiotiques

Découverte d'antibiotiques : la course contre la montre face aux superbactéries

La résistance aux antibiotiques est devenue l'une des plus grandes menaces pour la santé mondiale. Alors que les infections résistantes se multiplient, la découverte de nouveaux antibiotiques, elle, stagne dangereusement. Une étude passionnante fait le point sur l'histoire de la découverte d'antibiotiques et révèle les pistes les plus prometteuses pour l'avenir. Plongée dans les coulisses de cette course contre la montre pour sauver l'humanité des superbactéries.

L'âge d'or des antibiotiques : quand la nature nous offrait ses trésors

Tout a commencé par un heureux hasard. En 1928, Alexander Fleming découvre la pénicilline en observant qu'une moisissure a détruit des bactéries dans une de ses boîtes de Petri. Cette découverte fortuite a marqué le début de l'âge d'or des antibiotiques. Entre 1940 et 1960, les chercheurs ont exploité un véritable filon : les micro-organismes du sol, en particulier les actinomycètes.

Cette approche, baptisée "plateforme Waksman" du nom de son inventeur Selman Waksman, a permis de découvrir la plupart des grandes classes d'antibiotiques que nous utilisons encore aujourd'hui :

  • Les aminoglycosides (comme la streptomycine)
  • Les tétracyclines
  • Les macrolides (comme l'érythromycine)
  • Les glycopeptides (comme la vancomycine)

Malheureusement, ce filon s'est progressivement tari. Les mêmes molécules étaient redécouvertes encore et encore, rendant la recherche de nouveaux antibiotiques de moins en moins rentable pour les laboratoires pharmaceutiques.

La chimie à la rescousse : l'ère des antibiotiques semi-synthétiques

Face à l'épuisement des ressources naturelles, les chimistes ont pris le relais. Leur approche : modifier chimiquement les molécules naturelles pour créer de nouveaux antibiotiques plus puissants et capables de contourner les résistances.

Cette stratégie a connu un succès retentissant avec les pénicillines semi-synthétiques. En modifiant la structure de base de la pénicilline, les chercheurs ont créé toute une gamme de nouveaux antibiotiques :

  • La méticilline, résistante aux pénicillinases
  • L'ampicilline, à large spectre
  • La pipéracilline, active contre le redoutable Pseudomonas aeruginosa

Même succès du côté des céphalosporines, avec pas moins de cinq générations développées pour contrer l'évolution des résistances. La chimie médicinale a ainsi permis de prolonger l'efficacité des antibiotiques pendant plusieurs décennies.

L'ère de la génomique : des espoirs déçus

Dans les années 1990, le séquençage des génomes bactériens a ouvert de nouvelles perspectives. L'idée était séduisante : identifier dans le génome des bactéries des cibles essentielles à leur survie, puis concevoir des molécules pour les bloquer spécifiquement.

De nombreuses entreprises pharmaceutiques se sont lancées dans cette approche, comme GlaxoSmithKline qui a criblé plus de 300 cibles génétiques potentielles. Malheureusement, les résultats n'ont pas été à la hauteur des espérances :

  • De nombreuses cibles se sont avérées non essentielles in vivo
  • Les molécules identifiées in vitro ne parvenaient pas à pénétrer dans les bactéries
  • Les bactéries développaient rapidement des résistances par mutation

Résultat : malgré des investissements massifs, aucun nouvel antibiotique n'est sorti de cette approche. Un échec cuisant qui a conduit de nombreux laboratoires à abandonner la recherche d'antibiotiques.

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Le retour aux sources : le criblage phénotypique

Face à cet échec, les chercheurs sont revenus à une approche plus pragmatique : tester directement l'effet de molécules sur des bactéries vivantes, sans a priori sur leur mécanisme d'action. Cette méthode, appelée criblage phénotypique, a permis quelques belles découvertes :

  • La bédaquiline, premier antituberculeux d'une nouvelle classe en 40 ans
  • La fidaxomicine, active contre Clostridium difficile
  • Le linézolide, chef de file des oxazolidinones

Ces succès montrent que le criblage phénotypique reste une approche viable pour découvrir de nouveaux antibiotiques. Mais elle se heurte à un problème majeur : le manque de diversité chimique dans les bibliothèques de molécules testées.

L'espoir vient des profondeurs : exploiter la biodiversité microbienne

Pour sortir de l'impasse, une piste prometteuse se dessine : explorer la biodiversité microbienne encore méconnue. On estime que moins de 1% des espèces microbiennes sont cultivables en laboratoire. Or, ces micro-organismes "incultivables" recèlent potentiellement une mine de nouveaux antibiotiques.

Des techniques innovantes permettent aujourd'hui d'accéder à ce réservoir inexploré :

  • La culture in situ avec des dispositifs comme l'iChip, qui a permis la découverte de la teixobactine
  • La métagénomique, qui analyse l'ADN de communautés microbiennes entières
  • L'activation de voies de biosynthèse silencieuses chez des bactéries connues

Ces approches ont déjà permis d'identifier des molécules prometteuses, comme la teixobactine, active contre des bactéries multirésistantes, ou la lugdunine, produite par une bactérie du microbiome nasal humain.

L'intelligence artificielle entre dans la danse

L'intelligence artificielle (IA) pourrait bien être le catalyseur qui manquait à la découverte d'antibiotiques. Les algorithmes d'apprentissage profond sont capables d'analyser des quantités massives de données pour identifier des motifs imperceptibles à l'œil humain.

Appliquée à la découverte d'antibiotiques, l'IA pourrait :

  • Prédire l'activité antibiotique de molécules à partir de leur structure
  • Optimiser les molécules candidates pour améliorer leur efficacité et réduire leur toxicité
  • Identifier de nouvelles cibles bactériennes en analysant les données omiques

Une preuve de concept impressionnante a été publiée en 2020 : un algorithme d'IA a permis de découvrir un nouvel antibiotique à large spectre, baptisé halicine, actif contre des bactéries multirésistantes.

La multidisciplinarité, clé du succès

L'étude souligne que la découverte d'antibiotiques ne peut plus être l'affaire d'une seule discipline. Les succès futurs reposeront sur la collaboration entre :

  • Microbiologistes pour explorer la biodiversité microbienne
  • Chimistes pour optimiser les molécules candidates
  • Bio-informaticiens pour analyser les données omiques
  • Spécialistes de l'IA pour développer des algorithmes prédictifs
  • Cliniciens pour évaluer l'efficacité et la sécurité des candidats

Cette approche multidisciplinaire est déjà mise en œuvre dans des initiatives comme le consortium CARB-X, qui finance des projets innovants de lutte contre la résistance aux antibiotiques.

Des pistes inattendues

Au-delà des antibiotiques classiques, la recherche explore des pistes alternatives pour lutter contre les infections bactériennes :

  • Les peptides antimicrobiens, inspirés des défenses naturelles de l'organisme
  • La phagothérapie, qui utilise des virus mangeurs de bactéries
  • Les anticorps monoclonaux ciblant des facteurs de virulence bactériens
  • La modulation du microbiome pour renforcer nos défenses naturelles

Ces approches pourraient compléter l'arsenal des antibiotiques classiques et offrir de nouvelles options thérapeutiques face aux infections résistantes.

Nos réponses à vos questions sur la découverte d'antibiotiques

Pourquoi ne découvre-t-on plus de nouveaux antibiotiques ?

Plusieurs facteurs expliquent cette situation : l'épuisement des sources naturelles facilement accessibles, le coût élevé de la recherche, et le faible retour sur investissement des antibiotiques par rapport à d'autres médicaments. De plus, les nouvelles approches comme le criblage de cibles génomiques n'ont pas donné les résultats escomptés.

Combien de temps faut-il pour développer un nouvel antibiotique ?

Le développement d'un nouvel antibiotique prend en moyenne 10 à 15 ans, de la découverte initiale à la mise sur le marché. Ce long processus comprend l'optimisation de la molécule, les tests précliniques et les essais cliniques sur l'homme.

Les bactéries peuvent-elles devenir résistantes à tous les antibiotiques ?

Théoriquement, oui. Les bactéries ont une capacité d'adaptation remarquable et peuvent potentiellement développer des résistances à tout type d'antibiotique. C'est pourquoi il est crucial de continuer à découvrir de nouvelles molécules et d'utiliser les antibiotiques de manière raisonnée pour préserver leur efficacité.

L'intelligence artificielle va-t-elle révolutionner la découverte d'antibiotiques ?

L'IA a le potentiel d'accélérer considérablement le processus de découverte d'antibiotiques en analysant des quantités massives de données et en identifiant des molécules prometteuses. Cependant, elle ne remplacera pas complètement les approches traditionnelles et devra être combinée à l'expertise des chercheurs pour obtenir des résultats optimaux.

Existe-t-il des alternatives aux antibiotiques classiques ?

Oui, plusieurs pistes sont explorées, comme les peptides antimicrobiens, la phagothérapie, ou la modulation du microbiome. Ces approches pourraient compléter les antibiotiques classiques, mais elles sont encore en phase de développement et nécessitent davantage de recherches avant de pouvoir être utilisées à grande échelle.