Maroc : un royaume prospère, mais pour qui ? Les inégalités criantes d'une économie à deux vitesses
Depuis son accession au trône en 1999, le roi Mohammed VI a engagé le Maroc dans une politique de grands travaux et de modernisation économique. Mais derrière cette success story se cachent de profondes inégalités, qui ne cessent de se creuser entre une monarchie prospère et une population qui peine à sortir de la pauvreté. Décryptage d'un pays où cohabitent misère et opulence.
Un royaume qui s'enrichit, une population qui s'appauvrit
En 2021, la fortune personnelle du roi Mohammed VI était estimée à 2,5 milliards de dollars par le magazine Forbes, faisant de lui le 7ème monarque le plus riche du monde. Une success story fulgurante quand on sait qu'il y a 20 ans, son patrimoine ne dépassait pas les 500 millions de dollars. Le secret de cette réussite ? Une mainmise de plus en plus forte sur l'économie du pays, à travers un empire tentaculaire tissé par les holdings royales dans tous les secteurs clés : agroalimentaire, grande distribution, immobilier, mines, finance...
Mais pendant que la monarchie s'enrichit, une large part de la population s'enfonce dans la pauvreté. Selon un rapport du Haut-Commissariat au Plan publié en avril 2021, les 20% de Marocains les plus riches captent à eux seuls plus de la moitié des revenus du pays. À l'inverse, les 20% les plus pauvres doivent se contenter de 5,6% du gâteau national. Un cinquième des plus aisés gagne ainsi en moyenne 10 fois plus que les 20% situés en bas de l'échelle. Un écart "socialement intolérable", estiment les experts.
Éducation, santé, emploi : des droits fondamentaux bafoués
Ces inégalités abyssales se reflètent dans l'accès à des droits aussi essentiels que l'éducation ou la santé. Malgré des efforts budgétaires, le système éducatif marocain reste largement défaillant et inégalitaire. La durée moyenne de scolarisation plafonne à 4,4 ans et les résultats des élèves varient du tout au tout selon leur milieu social. La multiplication des écoles privées, encouragée par l'État, ne fait qu'accentuer le phénomène. Résultat : 41,9% des femmes sont toujours analphabètes en 2014 (60,4% en milieu rural).
Même constat pour le système de santé, où les Marocains sont contraints de payer de leur poche 51% des dépenses. Le pays se classe au 123ème rang mondial pour l'indice de développement humain du PNUD, loin derrière ses voisins tunisien et algérien. Sans parler du chômage de masse qui touche les jeunes (42,8% des 15-24 ans) et de la place des femmes, reléguées au 137ème rang mondial pour l'égalité hommes-femmes.
Un pays, deux Maroc
Au-delà des chiffres, c'est un véritable pays à deux vitesses que donnent à voir ces inégalités. D'un côté, les quartiers huppés de Rabat ou Casablanca, leurs villas luxueuses, leurs centres commerciaux rutilants et leurs voitures de sport. De l'autre, les bidonvilles qui s'accrochent aux périphéries des grandes villes, les régions rurales oubliées du développement, sans accès à l'eau, à l'électricité ou aux routes goudronnées.
Un contraste saisissant qu'illustre le train de vie fastueux de la monarchie. Avec une liste civile de 40 000 dollars par mois, un budget "fonctionnement du Palais" deux fois supérieur à celui de l'Élysée et pas moins de 12 palais royaux à entretenir pour 1 million de dollars par jour, le roi Mohammed VI et sa cour ne se refusent rien. Quand dans le même temps 5 millions de ses sujets survivent avec moins d'1 euro par jour.
La fortune royale, secret le mieux gardé du royaume
D'où vient cet argent ? Nul ne le sait vraiment. Au Maroc, la fortune royale est le secret le mieux gardé du royaume. L'inventaire partiel réalisé dans les années 1990 par un opposant au régime faisait état d'avoirs de près de 10 milliards de francs, entre palais, terres agricoles, participations dans de grands groupes marocains et étrangers... Depuis, Mohammed VI a décuplé ce pactole, notamment grâce à l'envolée des prix de l'immobilier. Une manne colossale qui échappe à tout contrôle, puisque le roi est à la fois juge et partie, cumulant les casquettes d'entrepreneur et de chef d'État.
Une situation unique au monde, dénoncée par quelques voix courageuses mais qui restent inaudibles dans un pays où la figure royale est sacrée et toute critique sévèrement réprimée. Malgré les promesses de développement inclusif, le fossé ne cesse de se creuser entre le Maroc d'en haut et celui d'en bas. Avec le risque de nourrir un profond ressentiment social, dans un contexte régional marqué par les printemps arabes. Mohammed VI en est conscient, lui qui a initié en urgence un "nouveau modèle de développement" en 2019. Reste à voir s'il saura partager les fruits de la croissance, pour réconcilier les deux Maroc.