Et si les milliardaires partageaient leur fortune ? Rêve ou cauchemar ?
Et si Jeff Bezos, Bill Gates, Bernard Arnault et les 7 autres milliardaires les plus riches de la planète décidaient, dans un élan de générosité, de partager leurs colossales fortunes avec le reste de l'humanité ? Un scénario de science-fiction ? Pas tant que ça. Avec un patrimoine cumulé de plus de 2 175 milliards de dollars, ces 10 individus pourraient théoriquement offrir près de 310 dollars à chaque habitant de la Terre. De quoi changer la vie de millions de personnes dans les pays les plus pauvres, diront certains. Mais les conséquences d'une telle redistribution seraient-elles uniquement positives ? Rien n'est moins sûr.
Un pactole de 10 000 dollars par terrien... mais pour combien de temps ?
Si les 100 personnes les plus riches de la planète décidaient de partager équitablement leur fortune cumulée d'environ 13 000 milliards de dollars, chaque habitant de la Terre se retrouverait avec un pactole d'environ 10 000 dollars sur son compte en banque. Une somme qui changerait assurément la vie de milliards d'individus, notamment dans les pays en développement où ce montant représente parfois plusieurs années de salaire. Mais une fois cette manne providentielle dépensée, que se passerait-il ? Sans création de richesses nouvelles et sans mécanismes pérennes de redistribution, le soufflé retomberait bien vite et les inégalités réapparaîtraient inéluctablement. D'où l'importance de réfléchir au-delà de l'effet "jackpot", pour bâtir un système économique plus équitable et durable sur le long terme.
Des milliards pour construire des écoles et des hôpitaux
Imaginez tout ce qu'on pourrait faire avec 2 175 milliards de dollars intelligemment investis dans des projets de développement. Construire des dizaines de milliers d'écoles et d'hôpitaux en Afrique et en Asie, former des armées d'enseignants et de médecins, éradiquer des maladies, électrifier des villages, déployer des réseaux d'eau potable... Les besoins sont immenses et cette manne financière tombée du ciel pourrait indéniablement changer la donne dans de nombreux domaines. Les ex-époux Gates l'ont bien compris, eux qui se sont engagés à reverser la majorité de leur fortune à leur fondation caritative. Mais ils restent malheureusement des exceptions dans le monde des ultra-riches.
Yachts, châteaux et voitures de luxe : le grand gaspillage
Pendant que des centaines de millions de personnes survivent avec moins de 1 dollar par jour, certains milliardaires n'hésitent pas à claquer des fortunes dans des biens de luxe aussi clinquants qu'inutiles. Que dire de ce yacht à 270 millions d'euros acheté par le prince saoudien en 2015 ? Ou de ce "château" en béton de 5000 m² commandé par un oligarque russe ? Avec l'argent d'une seule de ces folies, on pourrait construire des dizaines de collèges pour des milliers d'élèves... Quant aux écuries de voitures de sport et autres truffes hors de prix, leur utilité pour le bien commun reste à démontrer. Ces dépenses indécentes illustrent le gouffre béant entre la réalité des ultra-riches et celle du reste de l'humanité.
Des fortunes qui profitent peu à l'emploi
Certains arguent que redistribuer les fortunes des milliardaires ruinerait des millions d'emplois. C'est peu probable. L'essentiel de ces fortunes est détenu sous forme d'actions, pas d'usines ou d'équipements. Si Bill Gates vendait ses parts de Microsoft, l'entreprise continuerait de tourner, avec les mêmes employés, mais d'autres actionnaires. Et construire des écoles ou des logements sociaux nécessite autant, si ce n'est plus, de main d'œuvre que d'assembler des yachts ou des Lamborghini. Tout est question de priorités dans l'allocation des ressources.
L'indécence des inégalités extrêmes
Au-delà de ces considérations économiques, les inégalités extrêmes posent un vrai problème éthique et social. Comment justifier qu'une poignée d'individus captent une part sans cesse croissante des richesses, pendant que des pans entiers de l'humanité restent démunis ? Au Qatar, le PIB par habitant atteint des sommets... mais il masque les 2 millions de travailleurs immigrés surexploités qui triment pour 1 euro de l'heure. Une meilleure répartition des fruits de la croissance est une condition sine qua non d'un développement harmonieux et pacifique des sociétés. Sinon, le risque est grand de voir monter les frustrations et les tensions.
Des milliards pour la guerre plutôt que pour la vie
La fortune des milliardaires pose enfin la question des priorités de nos dirigeants. Quand la Russie dépense 300 millions de dollars en une journée pour détruire des vies en Ukraine, combien d'hôpitaux et d'écoles aurait-on pu bâtir avec cet argent ? Les budgets militaires engloutissent chaque année des sommes astronomiques qui manquent cruellement pour faire reculer la faim et la pauvreté. Imagine-t-on ce que l'humanité pourrait accomplir si les États consacraient à l'éducation et à la santé ne serait-ce qu'une fraction des moyens dédiés aux armements ?
Alors oui, a priori, redistribuer les fortunes des plus riches pour améliorer le sort des plus pauvres, cela ressemble à une belle idée. Mais sa mise en pratique apparaît complexe et semée d'embûches. Plutôt que de rêver à une hypothétique ponction des milliardaires, sans doute faut-il repenser en profondeur notre modèle économique et nos mécanismes de solidarité. Pour que la richesse produite par tous profite réellement à tous. C'est le défi majeur que nos sociétés doivent relever. Avant qu'il ne soit trop tard.