Tous les 10 ans, ce village englouti refait surface attirant plus de 30 000 curieux

L'histoire du barrage de Tignes révèle l'un des plus grands sacrifices territoriaux de France au nom du progrès énergétique d'après-guerre. En 1952, la construction d'un barrage hydroélectrique de 180 mètres de hauteur a englouti l'ancien village de Tignes et ses 400 ans d'histoire sous 235 millions de mètres cubes d'eau. Cette submersion programmée a contraint au déplacement de 78 familles et à l'abandon définitif d'un patrimoine architectural unique, dont une église baroque du XVIIe siècle. Les habitants ont résisté pendant des années avant de céder face à ce projet titanesque qui allait transformer radicalement le paysage de la Haute-Tarentaise.

Un chantier pharaonique de 7 ans qui mobilisa 5000 ouvriers pour créer le 3e plus grand barrage de France

Le projet du barrage de Tignes débuta en 1945 dans un contexte d'après-guerre où la France avait un besoin crucial d'électricité. Les travaux, démarrés en 1948, nécessitèrent la participation de 5000 ouvriers travaillant jour et nuit dans des conditions extrêmes, à 1790 mètres d'altitude. La construction mobilisa 640 000 tonnes de ciment et 100 000 tonnes d'acier. Le barrage-voûte, d'une hauteur vertigineuse de 180 mètres et d'une longueur en crête de 296 mètres, représentait à l'époque une prouesse technique sans précédent.

La mise en eau du barrage s'est effectuée progressivement entre 1952 et 1953. Le lac artificiel ainsi créé, d'une superficie de 3,5 km², peut contenir jusqu'à 235 millions de mètres cubes d'eau. Cette réserve colossale permet aujourd'hui de produire annuellement 620 millions de kilowattheures, soit l'équivalent de la consommation électrique d'une ville de 500 000 habitants. Le barrage de Tignes est devenu le troisième plus grand barrage hydroélectrique de France, après Serre-Ponçon et Roselend.

Les conditions de travail sur le chantier étaient particulièrement difficiles. Les ouvriers affrontaient des températures descendant jusqu'à -20°C en hiver, des vents violents et des chutes de neige abondantes. Pour maintenir le rythme de construction, des systèmes de chauffage du béton durent être mis en place, une innovation technique pour l'époque. Le chantier a malheureusement coûté la vie à 5 ouvriers, un bilan relativement modéré pour un projet de cette envergure dans les années 1950.

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400 ans d'histoire engloutis : le combat acharné des 384 habitants pour sauver leur village ancestral

La résistance des Tignards face à ce projet fut l'une des plus marquantes de l'histoire des grands travaux français. Pendant près de 5 ans, les 384 habitants du village menèrent une lutte acharnée pour préserver leur patrimoine. Les manifestations se multiplièrent, certains habitants allant jusqu'à s'enchaîner à leurs maisons. Le curé du village célébra même une messe sur le toit de l'église, alors que l'eau commençait à monter, dans un ultime acte de protestation.

L'ancien village de Tignes comptait 150 maisons traditionnelles savoyardes, certaines datant du XVIe siècle. L'église Saint-Jacques, joyau de l'art baroque savoyard construit en 1679, présentait des fresques et des retables d'une valeur artistique exceptionnelle. Avant la mise en eau, les services des Monuments historiques purent sauvegarder certains éléments précieux, dont le maître-autel baroque et plusieurs statues, aujourd'hui exposés dans la nouvelle église de Tignes-le-Lac.

Les indemnisations proposées aux habitants furent source de nombreuses controverses. Chaque famille reçut en moyenne 3 millions de francs de l'époque, une somme jugée insuffisante par beaucoup. De plus, le relogement s'avéra complexe : si certains choisirent de s'installer dans le nouveau village de Tignes-le-Lac, construit à 2100 mètres d'altitude, d'autres préférèrent quitter définitivement la région, créant une véritable diaspora tignarde.

Un phénomène unique : tous les 10 ans, le village englouti refait surface lors de la vidange du barrage

Tous les dix ans environ, le barrage fait l'objet d'une inspection complète nécessitant sa vidange. Ces moments exceptionnels permettent aux anciens habitants et à leurs descendants de redécouvrir les vestiges de leur village. Lors de la dernière vidange en 2014, les ruines de l'ancien Tignes sont réapparues pendant plusieurs semaines, attirant plus de 30 000 visiteurs fascinés par ce témoignage poignant de l'histoire locale.